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COVID-19 ET ETAT D’URGENCE SANITAIRE AU MAROC : GERER L’IMPACT SUR L’EXECUTION DES CONTRATS

25 Mar 2020

Conflit contractuel

25 mars 2020

Comme beaucoup de pays le Maroc n’échappe pas à la pandémie du coronavirus et les autorités ont dû placer le Royaume en état d’urgence sanitaire le vendredi 20 mars à 18 heures.

Dans cette situation beaucoup d’entreprises sont obligées de fermer ou de réduire leurs effectifs mettant ainsi en péril la bonne exécution de leurs obligations contractuelles. Or le fait pour une entreprise de ne pas exécuter tout ou partie de ses obligations contractuelles peut causer un préjudice à son partenaire, ce dernier pouvant alors en demander réparation à l’entreprise défaillante au titre de la responsabilité contractuelle de cette dernière.

Nous proposons aux entreprises qui risquent de faire face à une non-exécution de tout ou partie de leurs obligations contractuelles une démarche en plusieurs étapes leur permettant de gérer le risque contractuel dans les meilleures conditions possibles.

Au préalable, nous rappellerons le principe de la force exécutoire des contrats.

     1. Force obligatoire des contrats

L’article 230 du dahir des obligations et des contrats (DOC) pose le principe suivant : « Les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi ».

Le contrat est la loi des parties dans le sens où il les lie de la manière la plus contraignante. Elles doivent, par conséquent, tout faire pour respecter leurs obligations contractuelles. Elles ne peuvent se désengager que si elles sont d’accord ou lorsque la loi le permet.

Par conséquent une partie défaillante ou potentiellement défaillante à un contrat ne peut pas unilatéralement se délier de tout ou partie de ses obligations contractuelles.

De même, le juge ne peut intervenir pour rétablir l’équilibre économique d’un contrat lorsque celui-ci vient à être déséquilibré du fait de circonstances imprévues en modifiant les conditions économiques et financières générales.

Pour autant les entreprises ne sont pas laissées à elles-mêmes dans la mesure où l’article 230 précité leur permet de révoquer d’un commun accord leurs obligations contractuelles ou de recourir aux mesures permises par la loi.

Pour se faire elles doivent se concerter ou entamer des négociations au plus vite avec leurs partenaires selon une démarche structurée ou imposées par les clauses des contrats concernés pour gérer au mieux la situation.

    2. Proposition d’une démarche de gestion du risque contractuel

Fort de notre pratique, nous proposons une démarche de gestion du risque juridique basée sur plusieurs étapes.

    a. Analyse de la situation

En premier lieu l’entreprise doit analyser le niveau de défaillance contractuelle dans laquelle elle se trouve ou pense être à court terme.

Puis elle doit minimiser autant que possible la défaillance ou le risque de défaillance et identifier les alternatives possibles afin de respecter autant que faire se peut ses obligations contractuelles afin éviter la non-exécution totale ou d’en circonscrire la portée.

La logique voudrait que dans la situation que nous connaissons, les cocontractants s’entendent pour trouver une solution afin de préserver leurs relations, mais les intérêts de chacun peuvent conduire à des positions divergentes. Au final, le partenaire contractuel peut s’avérer beaucoup moins souple que ce que l’autre prévoyait.

     b. Analyse du contrat concerné

Après l’analyse de la situation, l’entreprise doit vérifier si le contrat en cause stipule ou non des clauses contractuelles susceptibles d’aménager ou de suspendre l’exécution du contrat lors d’une pandémie ou d’une décision prise par les autorités gouvernementales telle que la déclaration d’un état d’urgence sanitaire.

Ces clauses sont le plus souvent dénommés clauses d’adaptation, d’aménagement, d’imprévision, de hardship ou de force majeure.

Elles ont principalement pour objectifs de réaménager les termes du contrat, de reporter l’exécution des obligations ou d’exonérer la partie défaillante de toute responsabilité.

De telles clauses sont habituelles dans les contrats à moyen et long terme dans la mesure où elles répondent à un souci de gestion du risque contractuel lié aux activités des entreprises dans le temps.

La clause dite de force majeure est la plus usitée. Schématiquement elle vise tout évènement qui échappe au contrôle et aux prévisions des parties et qui rend impossible l’exécution du contrat.

Nous y reviendrons.

Dans le cas où le contrat contient une clause d’adaptation ou de force majeure, il convient de vérifier si les conditions de sa mise en œuvre sont réunies.

L’interprétation de ces clauses par les parties peut être divergente et être une source de conflit.

A défaut de clauses contractuelles, la seule solution pour la partie défaillante sera de soulever la force majeure pour se dégager de sa responsabilité si le cocontractant se montre sourd à la demande de son partenaire.

Qu’est-ce que la force majeure et quand peut-on parler de force majeure ?

Alors que l’Etat français considère le coronavirus comme un cas de force majeure pour les entreprises titulaires de marchés publics les exonérant ainsi de pénalités si jamais il y a un retard de livraison[1], quand est-il au Maroc ?

L’état d’urgence sanitaire décrété par le ministère de l’Intérieur[2] est-il susceptible de constituer un cas de force majeure entraînant la suspension de l’exécution des contrats en cours voire leur cessation ?

La publication des deux décrets-lois n° 2-20-292 et n° 2-20-293 au Bulletin officiel n° 6867 du 24 mars 2020 qui donne respectivement un cadre légal général à l’état d’urgence et un cadre spécifique à l’état d’urgence sanitaire actuel au Maroc ne parle pas de force majeure.

Quelle définition donne le droit marocain de la force majeure ?

L’article 269 du dahir des obligations et des contrats dispose que : « La force majeure est tout fait que l’homme ne peut prévenir, tel que les phénomènes naturels (inondations, sécheresses, orages, incendies, sauterelles), l’invasion ennemie, le fait du prince, et qui rend impossible l’exécution de l’obligation. N’est point considérée comme force majeure la cause qu’il était possible d’éviter, si le débiteur ne justifie qu’il a déployé toute diligence pour s’en prémunir. N’est pas également considérée comme force majeure la cause qui a été occasionnée par une faute précédente du débiteur ».

La force majeure suppose donc de caractériser les éléments cumulatifs suivants au jour de la conclusion du contrat :

  • Evénement extérieur à la volonté de la partie débitrice ;
  • Evénement imprévisible ;
  • Evénement irrésistible rendant impossible l’exécution du contrat.

La partie défaillante qui est en mesure de prouver l’existence d’un cas de force majeure dans les conditions qui précèdent, l’ayant empêché d’exécuter tout ou partie de ses obligations contractuelles, sera alors dégagée de sa responsabilité et ne pourra pas être condamnée au paiement de dommages-intérêts (article 268 du DOC).

En cas de désaccord entre les parties sur la qualification de force majeure, il reviendra au juge ou à l’arbitre en cas de recours à l’arbitrage de qualifier l’évènement d’un cas de force majeure ou non.

La réalisation des critères rappelés ci-avant permettant de qualifier un évènement de force majeure doit être appréciée à la signature du contrat, et compte tenu des conséquences attachées à la force majeure, le juge regardera de prêt si ces critères sont remplis.

La partie défaillante doit par conséquent apporter tous les éléments relatifs à l’existence d’un cas de force majeure. Il ne suffit pas de se prévaloir de celle-ci mais d’en apporter la preuve.

Si l’inexécution de contrats anciennement conclus pourrait bénéficier de la force majeure, les caractères irrésistible et imprévisible de l’évènement pourraient être plus compliqués à prouver pour les contrats très récemment conclus dont l’exécution serait devenue impossible. De plus, la partie défaillante devra prouver qu’elle a déployé toute diligence pour éviter d’être en défaut. Tout sera donc une question d’espèce et d’interprétation des faits. Il ne suffira donc pas de se prévaloir de la pandémie du COVID-19, ou de l’état d’urgence sanitaire pour être dégagé de toute responsabilité contractuelle.

En l’absence de jurisprudence au Maroc à notre connaissance en matière d’épidémie, nous pouvons nous référer à la jurisprudence française qui a notamment considéré qu’une épidémie due au virus Ebola ne constituait pas un cas de force majeure car aucun lien de causalité n’était caractérisé entre le virus et la baisse d’activité d’une société (CA Paris, 17 mars 2016, RG 15/04263). S’agissant du virus chikungunya, il a été souligné qu’en dépit de ses caractéristiques (douleurs articulaires, fièvre, céphalées, fatigue, etc.) et de sa prévalence dans l’arc antillais et singulièrement sur l’île de Saint-Barthélemy courant 2013-2014, cet événement ne comportait pas les caractères de la force majeure au sens des dispositions de l’article 1148 du code civil [ancien] ne pouvant être  considéré comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible dans la mesure où cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable (CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, RG 17/00739).

Il doit être noté que si le contrat est un contrat international, la partie défaillante doit vérifier quel est le droit applicable au contrat. Les conséquences de l’inexécution totale ou partielle du contrat seront alors régies par ce dernier.

      c. Notifier la situation au cocontractant

Après avoir analysé la situation et étudié les termes du contrat, la partie défaillante doit informer son cocontractant le plus tôt possible de sa situation et engager avec lui les discussions pour gérer le risque contractuel dans les meilleures conditions et de trouver des solutions dans un esprit de coopération.

La marche à suivre pourrait être la suivante[3] :

  • Notification écrite adressée au partenaire ;
  • Réunion de négociation :
  • Présentation de la situation ;
  • Rappel des clauses contractuelles éventuelles permettant de faire face à la situation, et en l’absence de telles clauses, les alternatives possibles, ou à défaut de l’une ou l’autre solution, signifier l’impossibilité d’exécuter tout ou partie du contrat ;
  • Dialoguer de façon pacifique, de bonne foi et constructive lorsque des alternatives sont possibles.

     d. Accord entre les parties

Si un accord est possible entre les parties sur de nouvelles modalités d’exécution du contrat ou sa suspension, celles-ci doivent rédiger un avenant au contrat qui précisera les nouvelles modalités d’exécution du contrat ou celles de sa suspension.

Si elles tombent d’accord sur la résiliation du contrat, cet accord devra donner lieu à un protocole de résiliation précisant les raisons pour lesquelles la pandémie et/ou l’état d’urgence sanitaire rendent impossibles l’exécution du contrat et conduisent les parties à le résilier. Le protocole devra également préciser les conséquences en découlant notamment à titre d’exemple sur un stock de marchandises, les acomptes payées, les développement technologiques en cours, un savoir-faire mis à disposition, etc.

     e. Absence d’accord entre les parties

L’absence d’accord entre les parties débouchera sur un conflit qui sera régi dans les conditions prévues par le contrat. En effet la plupart des contrats contiennent une clause de différend ou de compétence qui organise les modalités de traitement des conflits.

Malheureusement très souvent les parties, par méconnaissance ou abus de copié-collé, prévoient le recours au traitement judicaire des conflits ou à un mécanisme d’arbitrage. Dans le contexte actuel, le jugement ou la sentence arbitrale donnant raison à l’un et tort à l’autre sont-ils appropriés ? Dit autrement la sanction ne satisfera personne.

Aussi les parties ont tout intérêt à s’entendre ou à étudier dans un esprit de bonne foi toute autre solution permettant le règlement amiable de leur conflit notamment avec l’aide d’un tiers neutre dans le cadre d’un processus de médiation, susceptible par ailleurs de préserver la relation entre les cocontractants.


[1] Déclaration de Bruno Lemaire, ministre de l’Economie et des Finances – discours du 28 février dernier à l’occasion d’une réunion avec les partenaires sociaux.

[2] Le ministère de l’Intérieur dans un communiqué du 19 mars a instauré l’état d’urgence sanitaire et le confinement à compter du 20 mars 2020. Le ministère de l’Intérieur et le ministère de l’Industrie ont également défini la liste des activités commerciales et de services qui doivent continuer à offrir leurs produits et services et produits (communiqué du 21 mars 2020). De même, les transports de personnes seront à l’arrêt à compter du 23 mars minuit. De son côté, l’administration des douanes a demandé aux importateurs de véhicules de négocier avec leurs fournisseurs la réduction au strict minimum de leurs importations de véhicules (courrier du 23 mars 2020 adressé au Président de l’association des importateurs de véhicules au Maroc.

[3] En cas de clause contractuelle, celle-ci peut prévoir le formalisme à respecter pour s’en prévaloir, tant en termes de modalités de mise en œuvre, de délais et de preuve à apporter. Ce formalisme devra être scrupuleusement respecté ; à défaut le créancier pourra s’en prévaloir pour refuser l’application de la clause et ainsi engager la responsabilité du partenaire défaillant.