11 Sep 2019
Nouvelles dispositions applicables au régime de la responsabilité civile des dirigeants sociaux de la société anonyme depuis la nouvelle loi n°20-19.
Droit des sociétés
11 Septembre 2019
Après un premier article consacré à l’évolution de la gouvernance de la société anonyme suite à la promulgation de la loi n°20-19 modifiant la loi n°17-95 relative aux sociétés anonymes (SA), nous présentons ci-après les nouvelles dispositions relatives à la responsabilité civile des dirigeants sociaux portant sur l’extension du champ de la responsabilité et l’instauration d’un principe de présomption de responsabilité. Nous évoquerons également le renforcement des sanctions en cas de fautes.
- Extension du champ de la responsabilité civile
L’action en responsabilité civile à l’encontre des dirigeants voit son champ d’application étendu aux fautes commises dans la gestion et aux actes commis en dehors de l’intérêt de la société.
- Fautes commises dans la gestion
L’article 352 de la loi n°17-95 modifié par la loi n°20-19 dispose désormais que les administrateurs, le directeur général et le directeur général délégué ou les membres du directoire sont responsables pour des fautes « commises » dans leur gestion » et non plus pour les fautes dans leur gestion.
Présentée par la note de présentation du projet de loi comme une extension de l’action en responsabilité, la responsabilité pour fautes commises dans la gestion n’en reste pas moins, à notre avis, une faute de gestion dans la mesure où l’emploi du verbe « commettre » ne devrait pas modifier le périmètre de la faute de gestion, celle-ci pouvant résulter d’un acte ou d’une abstention.
Pour s’en convaincre il se suffit de lire l’article 67 de la loi n° 5-96 sur la société en nom collectif, la société en commandite simple, la société en commandite par actions, la société à responsabilité limitée et la société en participation selon lequel « Les gérants sont responsables,[…] des fautes commises dans leur gestion », la jurisprudence et la doctrine ayant toujours fait référence à la seule faute de gestion.
Dans ces conditions, la modification serait plus un toilettage de l’article 352 destiné à harmoniser les dispositions relatives aux SA avec celles applicables aux SARL.
- Actes pris en dehors de l’intérêt de la société
La loi n°20-19 a étendu la responsabilité des administrateurs, du directeur général, du directeur général délégué, des membres du directoire ainsi que des membres du conseil de surveillance aux actes pris en dehors de l’intérêt de la société.
On peut s’interroger sur la portée réelle de ce nouveau cas de responsabilité dans la mesure où la faute de gestion est une notion suffisamment large pour englober tous les actes contraires à l’intérêt social y compris les actes pris en dehors de l’intérêt de la société.
A cela on objectera que le critère de l’intérêt de la société peut être interprété différemment que celui de la faute de gestion. Dès lors que recouvre la notion d’intérêt de la société ?
Quoi qu’il en soit les dirigeants vont devoir être encore plus vigilants.
Par ailleurs, le législateur a précisé que la faute de gestion ou l’acte contraire à l’intérêt de la société doivent avoir lieu « lors de l’exécution du mandat des dirigeants ».
Dans la mesure où on voit difficilement comment un dirigeant pourrait engager sa responsabilité pour des faits commis antérieurement ou postérieurement à son mandat, nous supposons que le législateur a simplement voulu aligner l’article 352 avec l’article 355 bis aux termes duquel les membres du conseil de surveillance sont responsables des fautes personnelles commises « dans l’exécution de leur mandat ».
Une autre interprétation de la notion « d’exécution du mandat » serait de dire que la loi s’attache aux fautes nées de la gestion de la société, les comportements fautifs extérieurs à la gestion, bien que commis lors de l’exécution du mandat, relevant alors de la responsabilité civile dans les conditions prévues par le dahir des obligations et des contrats.
Au final, les modifications apportées peuvent être présentées comme suit :
Dirigeants sociaux | Nature de la faute[1] |
Administrateurs, Directeur général, Directeur général délégué, Membres du directoire.
| Faute commise lors de la gestion ou actes pris en dehors de l’intérêt de la société lors de l’exécution du mandat. |
Membres du conseil de surveillance. | Faute personnelle ou actes pris en dehors de l’intérêt de la société lors de l’exécution du mandat.
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[1] Seules les situations modifiées par la loi n°20-19 engageant la responsabilité sont mentionnées.
Enfin on notera que la loi n°21-19 modifiant plusieurs dispositions de la loi n° 5-96, publiée au même moment que la loi n° 20-19, n’a pas modifié l’article 67 relatif à la responsabilité des gérants afin d’étendre leur responsabilité aux actes pris en dehors de l’intérêt de la société.
- Présomption légale de responsabilité
Si les membres du conseil d’administration et du directoire peuvent être condamnés solidairement pour des comportements fautifs lorsqu’ils ont été plusieurs à y participer, les tribunaux admettent que certains peuvent échapper à cette responsabilité s’ils sont en mesure de prouver leur opposition aux actes fautifs[2].
Afin de durcir le régime de responsabilité civile des membres du conseil d’administration et du directoire et les contraindre à exercer leur mission avec diligence, le législateur a établi un principe de présomption légale de responsabilité à leur encontre.
En effet, désormais en application du nouvel alinéa 2 de l’article 352 les membres du conseil d’administration ou du directoire qui n’auront pas participé aux faits et actes mentionnés au premier alinéa de l’article 352 en seront tenus néanmoins pour responsables.
Il s’agit toutefois d’une présomption simple de responsabilité dans la mesure où les intéressés pourront la combattre sous deux conditions : prouver qu’aucune faute ne leur est imputable et qu’ils révèlent le fait ou l’acte délictueux à la prochaine assemblée générale après en avoir pris connaissance[3].
Ces conditions soulèvent notamment les questions suivantes.
L’absence aux réunions du conseil ou du directoire peut-elle être constitutive d’une faute synonyme de responsabilité ?
Une réponse négative serait, à notre avis, en contradiction avec la sévérité voulue par le législateur et du poids de plus en fort des bonnes pratiques de gouvernance dont celle de la participation aux réunions de l’organe d’administration ; elle supprimerait toute effectivité à la mesure.
Aussi à notre avis, un administrateur ou un membre du directoire qui serait absent lors d’une réunion du conseil ou du directoire devra, selon l’importance de l’ordre du jour, justifier d’un motif séreux. A défaut, son absence serait constitutive d’une faute au sens du nouvel alinéa 2 de l’article 352.
Par ailleurs, les modalités de révélation de faits fautifs à l’assemblée n’ont pas été définies par le législateur.
Dès lors la question de ces modalités doit être posée, et ce d’autant plus que le fonctionnement des assemblées est réglementé.
Ainsi la révélation d’une faute doit-elle être inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée ? Au regard du contexte, la rédaction des articles 117 et 118 de la loi n° 17-95 relatifs à l’inscription de questions à l’ordre du jour ne semble pas le permettre.
Par ailleurs, il s’agit seulement de révéler des faits, le nouvel alinéa ne prévoyant ni délibération ni vote de l’assemblée.
Le passage par l’ordre du jour semble donc inapproprié voire exclu.
S’agit-il d’un incident de séance ? Là encore seule la révocation d’un administrateur ou d’un membre du directoire peut être décidée par l’assemblée sans que la question soit à l’ordre du jour.
Dans ces conditions, il appartiendra aux tribunaux de définir les modalités d’intervention des dirigeants lors de la révélation de faits fautifs, ce qui pose la question de la présence d’un dirigeant non actionnaire aux assemblées générales.
En effet, contrairement aux administrateurs, les membres du directoire ne sont pas obligatoirement actionnaires de la société dans laquelle ils exercent leur mandat. Dès lors, comment pourraient-ils révéler des agissements fautifs à une assemblée à laquelle ils ne peuvent pas légalement être présents ?
Un autre aspect relatif à la preuve de la révélation de tels agissements doit être souligné.
En effet, le dirigeant concerné devra s’assurer que le procès-verbal de l’assemblée mentionne effectivement les faits qu’il aura révélés.
Or celui-ci est-il en droit d’exiger une telle mention ?
A l’inverse, les dirigeants mis en cause lors de la dénonciation ont-ils le droit de s’y opposer ?
Cela nous conduit à se poser la question de la portée juridique de la révélation.
A notre sens, elle a seulement pour objet de permettre aux dirigeants de combattre la présomption de responsabilité. Ceci étant, les actionnaires pourront lui donner une suite en engageant la responsabilité civile, voire pénale, des dirigeants concernés ou en demandant dans un premier temps la désignation judiciaire d’un expert chargé d’établir un rapport sur les opérations de gestion litigieuses révélées à l’assemblée.
A ce titre, il faut souligner que le législateur a pris soin de préciser, mais la rédaction est équivoque, que la révélation des faits constitue une exception à l’article 354 de la loi n°17-95 disposant que le quitus donné par une assemblée à un membre du conseil d’administration ou du directoire ne peut faire obstacle à une action en responsabilité contre ces derniers.
En conclusion, la présomption de responsabilité qui pèse désormais sur les épaules des membres du conseil d’administration et du directoire les oblige à être beaucoup plus diligents dans l’exercice de leur mission et à adopter de bonnes pratiques de gouvernance, et ce d’autant plus que le cadre légal de cette présomption de responsabilité soulève beaucoup de questions susceptibles de générer de nombreux contentieux.
Ajoutons que la condition portant sur la révélation des faits organise une nouvelle source d’information des actionnaires de nature à accroître le contrôle des dirigeants.
- Renforcement des sanctions
Outre la condamnation à des dommages et intérêts, les dirigeants mentionnés à l’article 352 s’exposent désormais à être condamnés :
- à restituer à la société les profits qu’ils auraient réalisés au titre des faits et actes prévus à l’article 352 ; et
- à se voir interdit de diriger, de gérer, d’administrer, ou de représenter ou de contrôler, directement ou indirectement, toute société pendant une période de douze mois.
[1] Seules les situations modifiées par la loi n°20-19 engageant la responsabilité sont mentionnées.
[2] Cette jurisprudence a été rappelée par le tribunal de commerce de Casablanca dans sa décision rendue le 5 novembre 2018 dans l’affaire de l’extension de la liquidation de la SAMIR à ses dirigeants.
[3] Le législateur pourrait avoir été inspiré par l’article 335 bis de la loi n°17-95 avant la loi n°20-19 aux termes desquels les membres du conseil de surveillance « peuvent être déclarés civilement responsables des délits commis par les membres du directoire si, en ayant eu connaissance, ils ne les ont pas révélés à l’assemblée générale ».